Apprendre par le jeu

Prenez quelques minutes pour songer au dernier dernier jeu auquel vous avez joué, et au plaisir que vous y avez pris. Prenez également un peu de recul pour songer aux processus que ce jeu a mis en oeuvre, en terme de compétences et/ou de connaissances. Le jeu est un moyen, à tout âge, de développer et/ou réactiver des connaissances et compétences diverses et variées.

 

Toute espèce animale apprend par le jeu, et l'homme n'échappe pas à la règle. Jouer est en effet un moyen naturel de réduire la frontière entre l'espace réel dans lequel nous évoluons et agissons, et l'espace imaginaire créé par le jeu. Dans ce nouvel espace mitoyen, nous réalisons réellement des tâches qui ont des effets ou des conséquences dans l'espace imaginé.

 

 

La littérature pédagogique regorge d'idées de jeux à faire en classe, mais force est de constater que l'on se trouve souvent face à une série d'exemples décontextualisés des situations d'apprentissage, et qu'il faut très souvent se torturer les méninges pour transposer les activités proposées à une séquence d'enseignement. Ludifier la transmission des savoirs et des savoir-faire nécessite une mise en adéquation pertinente des contenus de nos programmes, qu'en tant qu'enseignant nous maîtrisons, avec des activités ludiques, que nous allons devoir bien connaître également. La première étape est donc de choisir le moment de la séquence que nous souhaiterons ludifier, et les connaissances et compétences que nous allons souhaiter mettre en oeuvre et fixer par ces activités. C'est dans cet esprit que j'en suis venu progressivement à privilégier des types de jeux particuliers en fonction des objectifs visés. 

 

 

Les jeux de simulation, axés sur le principe de jouer un rôle, permettent de se distancier de l'espace réel et d'ouvrir dans l'espace imaginaire un espace libérateur de parole, au sein duquel ce n'est plus l'élève, mais le personnage qu'il incarne, qui s'exprime. Ils me servent essentiellement à aborder ou synthétiser un contenu complexe, sous la forme de la scénarisation du plan de travail fourni aux élèves. Prenons par exemple la répartition des pouvoirs aux USA (Terminale - Formes et Lieux du Pouvoir), fut scénarisée sous la forme suivante : "Vous êtes un membre du Congrès / Juge à la Cour Suprême / Attaché à la Maison Blanche, et vous avez été invité à un dîner à la Maison Blanche, où vous côtoierez des membres de chacune des deux autres branches du pouvoir. Utilisez votre corpus de documents pour créer votre personnage, et préparez sa présentation incluant ses attributions dans le cadre de ses fonctions, puis enregistrez votre conversation à table."

En classe de langues vivantes, ces jeux de rôles peuvent prendre la forme de jeux de parole, ou de jeux d'écriture. J'ai également observé que le rôle joué par l'élève lui confère une forme de responsabilité par rapport au personnage qu'il incarne, et qu'il doit faire s'exprimer. On pourra enfin s'inspirer de jeux du commerce comme l'incontournable Dungeons & Dragons ou le Cluedo.

 

 

Le jeu d'émulation, reposant sur la résolution de difficultés plus que sur le rôle incarné par le joueur, se base sur la formulation et la vérification d'hypothèses destinées à trouver la solution aux questions posées, dans le but de mener à terme, étape par étape, une tâche complexe (mêlant reconnaissance et expression par exemple). Une fois les objectifs à atteindre clairement posés et mis en scène sous formes d'énigmes, ce type de jeu permettra donc, par émulation entre les élèves/joueurs, de résoudre des situations méthodologiquement complexes en favorisant une transmission horizontale (de pair à pair) des savoirs et savoir-faire.

On peut trouver dans les escape game une source d'inspiration pour ce type d'activité. Il va s'agir d'amener les élèves, par la résolution d'énigmes "à tiroir", où chaque réponse trouvée servira d'indice permettant de résoudre l'énigme suivante, à venir à bout de tâches complexes. Les "indices" pourront par exemple revêtir l'aspect de codes à trouver (des codes numériques en comptant les occurrences de mots dans un texte ou une chaîne parlée, ou des mots "outils" permettant d'identifier un champ lexical). Dans l'idéal le code numérique pourra avoir une valeur informative.

L'étude de littérature policière se prête aisément à la mise en place de ce type d'activité, et nous fournit également des idées de scénarios. Si ces activités sont souvent chronophages en termes de préparation, car chaque plateau de jeu devra idéalement être adapté aux difficultés des joueurs/élèves, et s'inscrira donc dans une stratégie d'individualisation des apprentissages. La plus value en termes d'acquisition de compétences méthodologiques est cependant indéniable, et permet de gagner du temps par la suite. Cependant, il est rarissime de trouver des textes authentiques s'y prêtant, et une étape préliminaire de didactisation des éléments est souvent indispensable.

 

 

Je tends à privilégier une intégration des jeux télévisés, ou des jeux de société pour réviser, en fin de séquence par exemple, d'autant que ce type de jeu peut être conçu facilement par les élèves, comme par exemple concevoir d'un questionnaire de type Qui Veut Gagner des Millions sur des questions de cours, faisant place, à la séance suivante, à un moment ludique où les élèves "jouent" entre eux, donnant lieu à des moments d'explication et de clarification des réponses.

L'un de mes jeux préférés est Democrazy, dont le principe est simple : pourquoi appliquer les règles quand il est beaucoup plus amusant de les voter. On répartit les élèves en groupe de 6, avec un jeu de cartes composé d'une cinquantaine de "lois" et de jetons, répartis en quatre catégories de couleurs différentes. Chaque élève débute avec une main de 4 cartes et un ensemble d'une dizaine de jetons de couleurs différentes, tirés au sort. A chaque tour, l'élève soumet au vote une loi qui fait gagner ou perdre des jetons aux joueurs autour de la table, étant entendu qu'il ne peut y avoir qu'une seule loi de chaque couleur en vigueur (la nouvelle loi abrogera donc la précédente). Il s'agit d'une activité simple et rapide (une dizaine de minutes de jeu suffit amplement) permettant de réviser les structures de l'obligation et de l'interdiction de façon ludique.

Les concepteurs de jeux de société, ou les producteurs de jeux télévisés regorgent d'idées pour créer, chaque année, de nouveaux jeux. Il ne faut pas hésiter à s'en inspirer pour faire jouer nos élèves, ainsi qu'à aller écumer les boutiques de jeu et à s'en faire expliquer les règles.

 


Mes 5 conseils pour mieux jouer en classe

  1. Concevoir un jeu, ce n'est pas jouer ! Il peut être tentant de faire concevoir un jeu par ses élèves, et c'est bien souvent un moment créatif en classe. Il faut cependant bien garder à l'esprit que cette activité est une activité de conceptualisation, et non un moment ludique.
  2. Poser le cadre. Avant de jouer, il conviendra bien évidemment de définir clairement les objectifs visés, en terme de compétences ou de connaissances, mais aussi (et surtout) de prévoir la place du jeu dans la séquence, le temps qui y sera alloué, et le type de jeu retenu en fonction de ces paramètres.
  3. Ne pas évaluer un jeu. Le moment ludique est un moment d'entraînement où l'élève fixe des connaissances, met en jeu et mutualise des compétences, apprend de ses pairs, mais en aucun cas il ne s'agit d'une activité à caractère sommatif. Les tests que j'ai menés tendent à démontrer que, sur une même activité face au même groupe, la pression ajoutée par la dimension sommative de l'évaluation engendre une chute importante des bonnes réponses, et une activité bien réussie en mode ludique (74% de bonnes réponses) peut devenir une évaluation sommative moyenne (62% - relevés effectués sur une vérification d'acquis culturels via Plickers).
  4. Penser son attitude. Le jeu induit des comportements ludiques, tels qu'une hausse du volume sonore, fous rires, éclats de voix, etc. Il faut dans ce type de situation savoir faire preuve d'une grande tolérance au bruit pédagogique, et parfois canaliser ces attitudes.
  5. Eclatez vous ! Ne faites pas faire à vos élèves un jeu auquel vous n'auriez pas envie de jouer, ou dont vous ne maîtriseriez pas les codes.
Et je ne saurai conclure sans un immense merci aux copains et copines pour leur relecture sagace de cet article avant sa publication !